- Vie universitaire
L’Assemblée générale des Nations unies a proclamé le 11 février Journée internationale des femmes et des filles de science. Nous sommes allés à la rencontre de plusieurs d’entre elles qui enrichissent l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) de leur vivacité, de leur intelligence et de leur détermination.
Rita-Audrey Gouesse, doctorante en biologie
« Je devais avoir treize ans lorsque j’ai subi une opération au cœur. Quand j’ai été guérie, je me suis dit que c’était incroyable ce que la connaissance du corps humain permettait. Je voulais moi aussi apprendre comment ça fonctionne pour pouvoir aider d’autres personnes.
« Je viens de la Côte-d’Ivoire où l’accès aux sciences n’est pas très valorisé. Quand on parle de carrière, on pense au droit, à l’économie… mais je voyais que les sciences, c’était très porteur! J’ai donc décidé de partir faire mes études en France/Canada. Mon ambition est de retourner dans mon pays et devenir enseignante-chercheure pour participer à l’éducation des jeunes et au développement.
« À la fin de mes études de premier cycle universitaire, j’ai fait un stage pendant lequel je travaillais sur le placenta. Il y a cette porte qui s’est ouverte sur la machinerie liée au fonctionnement des cellules, au développement… j’étais fascinée.
« Je sentais que la compréhension de ces choses à la fois abstraites mais si essentielles à notre sante était comme une nouvelle dimension à ma vie. »
« Certes, c’est très fondamental ce qu’on fait. Mais on touche à des mécanismes très fins qui ont des conséquences importantes sur la santé et participent à la découverte de thérapies ou à la prévention de maladies… En somme, je me se sent utile à la société. »
« Je viens d’une société dans laquelle l’éducation des enfants est entièrement du ressort des femmes; malgré les efforts visant à promouvoir la parité, une femme qui décide de privilégier sa carrière est souvent considérée égoïste. Si jamais son enfant tourne mal, c’est la faute à la mère, mais s’il réussit bien, c’est grâce à son père… Ça nous met une pression et ça peut nous limiter dans la poursuite de nos ambitions. C’est dommage! »
Magalie Quintal-Marineau, professeure en études autochtones
« Ce qui m’a amenée à faire une carrière universitaire plutôt qu’une autre, c’est les gens avec qui je collaborais sur le terrain. Les relations que je développe, sur une longue durée, sont une grande motivation. »
« Dans mon domaine, les études autochtones, la représentation d’une diversité de femmes est un enjeu. »
« Ça s’applique aussi pour les champs d’études de la société qui demandent une compréhension de la réalité de minorités. »
Mélany Juárez, étudiante à la maîtrise en
sciences expérimentales de la santé
« J’ai rencontré une femme très inspirante qui m’a enseigné les bases du génie biotechnologique et qui m’a en quelque sorte dévoilé ce qui se cache à l’arrière-scène des cellules.
« Alors que je pensais m’orienter en industrie, j’ai été curieuse de comprendre encore plus et maintenant, mon rêve est d’avoir mon laboratoire de recherche. »
« Un des grands défis des femmes en science, c’est de trouver des solutions pour éviter que la famille soit un frein à la carrière. L’équilibre est difficile à trouver entre la vie personnelle et la vie scientifique. Les hommes ne sont pas pénalisés s’ils ont des enfants, il faut bien le reconnaître… ils s’occupent moins de la vie familiale et consacrent plus d’efforts à leur vie professionnelle. Il est normal qu’ils aient une longueur d’avance, mais est-ce juste?
« Mes amies au Mexique n’ont pas la chance que nous avons ici. L’une d’elles qui avait un nouveau-né a été réprimandée pour avoir tiré son lait pendant sa journée au laboratoire. Elle s’est fait dire : « Si tu veux allaiter, retourne à la maison t’occuper de ton enfant ! » La société nous place devant un choix : être une mère ou être une professionnelle. Alors que les hommes peuvent avoir les deux sans se poser de question.
« Il y a un grand paradoxe en science : les scientifiques développent les connaissances et font progresser la société, mais ils sont organisés de façon très conservatrice et n’encouragent pas nécessairement le changement. Que ce soit pour les questions de genre que pour le partage de données, la science ouverte, la mécanique de publication, on voit la même résistance au changement. »
Isabela Albuquerque, doctorante en télécommunications
« La science, c’est la meilleure façon que j’ai trouvée de lier mes intérêts, mes forces et mes valeurs. Je crois que la science est très efficace pour avoir un impact sur un grand nombre de gens. Ce n’est pas la façon la plus directe d’aider, mais pour moi, c’est ce qui me rejoint le plus.
« J’aime la routine de la recherche, toute la lecture, l’émotion et l’excitation de l’analyse des résultats… le doute… « Je trouve qu’en tant que femme, c’est plus difficile de faire entendre ma voix. Partout. Toujours. Les gens jugent les femmes différemment. Cependant, la communauté de l’intelligence artificielle à Montréal est très accueillante pour les femmes. C’est très inspirant.
« Parfois, je me sens mal représentée parce que je ne vois pas de femmes brésiliennes scientifiques dans mon domaine de recherche ou dans la sphère publique. « Nous avons besoin de modèles. »
« Pour cette raison, il est plus difficile de se projeter dans certains rôles. On peut croire que ce n’est pas possible.
« Un de mes objectifs de vie est donner un modèle aux plus jeunes qui ont besoin de ça et de trouver des modèles pour les inspirer. Je veux donner une voix à ceux qui n’en ont pas. »
Roxanne Bérubé, doctorante en sciences de l’eau,
spécialisée en écotoxicologie
« Très jeune, mon grand-père m’a initiée à la pêche, ce qui m’a fait faire mes premières réflexions sur l’écologie et la biologie. Par la suite, j’ai eu la chance d’avoir une enseignante de biologie extraordinaire au secondaire. Sa passion était contagieuse!
« J’ai arrêté l’école pendant un certain temps, mais grâce à ces deux personnes extraordinaires, mon entrée à l’université s’est fait naturellement vers la biologie et les sciences de l’eau.
« Malheureusement, encore en 2019 les femmes sont sous-représentées dans le milieu des sciences, car il existe des préjugés et des biais persistants envers les femmes.
« Un changement culturel s’impose, vers une impartialité lors des processus d’évaluations et d’embauche. »
« Aussi, la conciliation travail-famille est un facteur important qui influence notre choix de carrière. Une amélioration des ces conditions est nécessaire pour une meilleure intégration des femmes dans les milieux scientifiques. »
Josianne Bienvenue-Pariseault, doctorante en biologie
« Plus jeune, j’aimais beaucoup la science-fiction. Une fois à l’école secondaire, quand j’ai vu qu’on avait des cours de science, je me suis dit : « Moi aussi je peux comprendre et faire de la science, comme dans les films! ».
« J’ai poursuivi dans cette voie et c’est devenu une vraie passion. »
« En recherche, il est difficile de cloisonner la vie professionnelle et la vie personnelle. C’est un continuum. Ce n’est pas du 9 à 5. Il faut être créatif dans la gestion du temps… Alors pour une femme avec une grande charge mentale, c’est un défi de plus.
« Il y a des situations déplorables. Au moment d’entretiens pour la sélection des étudiantes et des étudiants ou des stagiaires postdoctoraux, certains professeurs demandent aux candidates si elles ont l’intention d’avoir des enfants… Les contraintes de temps des contrats n’offrent pas la flexibilité dont auraient besoin celles qui souhaitent une grossesse.
« Il y a un mouvement de société pour favoriser la place des femmes en science et partout ailleurs. Malheureusement, il y a de l’intolérance face aux revendications féministes : des bourses juste pour les femmes, des programmes juste pour les femmes… Certains pensent que c’est trop. Alors est-ce qu’on va vraiment arriver à l’objectif de l’équilibre des chances?
« Il faut toujours justifier nos actes féministes, les gens ne se rendent pas compte de toutes les conséquences du sexisme. »
Bélinda Crobeddu, doctorante en biologie
« Il y a eu un moment déterminant quand j’avais environ 16 ans. Je devais faire des choix de programme pour mes études et on m’a dit que je n’étais pas assez forte pour faire des sciences.
« Ça m’a donné la rage de réussir! C’est en grande partie ce refus et cette humiliation qui m’ont donné l’impulsion pour persévérer jusqu’au doctorat. »
« Nous avons hérité d’une hiérarchie très masculine et où une femme, même si elle est très compétente en science, ne pouvait pas être directrice. Les enfants imaginent même qu’un scientifique, c’est un vieil homme blanc aux cheveux ébouriffés. C’est très imprimé dans la culture globale. Heureusement maintenant, on voit que la parité des genres devient une valeur importante pour notre génération.
« Pourtant, il y a eu tant de femmes importantes en science… mais on ne leur a pas donné la place qu’elles méritaient. Équilibrer le tout après ces siècles de patriarcat, ce sera long, et pas si simple. »
« Ici, à l’INRS, je ne me sens pas différente des hommes dans mon milieu professionnel. On a aussi plusieurs exemples de jeunes femmes professeures avec qui on peut discuter de la réalité des femmes en science et de la difficulté d’équilibrer avec une vie familiale. »
Marie-Ève Paré, stagiaire postdoctorale enanthropologie
« Dès mon premier cours en anthropologie, j’ai sur que c’était ce que je voulais faire. Ça répondait à mes questionnements, ça complétait mes réflexions sur ce qui me correspondait. Le conseiller en orientation du cégep m’a dit que généralement, il fallait un doctorat pour faire ce travail. Je suis partie avec cette idée, pleine de confiance. »
« Les femmes sont de plus en plus nombreuses en recherche, c’est encourageant. On représente une bonne proportion des étudiants et des professeurs. Dans certains programmes, nous sommes majoritaires. »
« Cependant, l’anthropologie est une discipline qui était traditionnellement plus masculine. C’est un travail de terrain, on part souvent seul, il y a donc des enjeux de sécurité. Pour ma part, j’ai fait du travail de terrain au Burkina Faso, je suis partie seule pendant dix mois. On se place dans des situations où on peut devenir la cible de violences pour ce qu’on représente. « On prend les mêmes risques que les hommes, mais est-ce que ça aura les mêmes conséquences?
« J’ai eu deux enfants pendant mon doctorat. Il y a de plus en plus de compréhension pour permettre cela, mais on ne peut pas encore dire que c’est généralisé. On travaille beaucoup, les enfants posent des limites… Mais c’est possible et plus facilement qu’auparavant. »
Shruti Kshirsagar, doctorante et télécommunications
« En Inde, il y a une de mes professeures qui était très talentueuse. J’ai toujours voulu être comme elle! J’ai eu cette chance d’avoir un modèle qui m’a montré que c’était possible de faire une carrière en science.
« Quand j’ai décidé de poursuivre mes études au doctorat en traitement de la parole, Montréal était la ville qui s’imposait.
« Je me suis impliquée dans des organismes et des mouvements, comme Women in Machine Learning et IEEE Women in Engineering et ça m’a inspirée pour prendre des décisions sur mes orientations de carrière. »
« Aujourd’hui, je fais partie d’un groupe de recherche que je trouve extraordinaire, avec une grande diversité de cultures, de personnalité et d’expertise. Je ne sens pas que le fait que je sois une femme fait une différence pour moi. »
Anne-Marie Veillette, doctorante en études urbaines
« Je vois le fait d’être en science comme une forme de militantisme pour la justice sociale. On a besoin de données et de recherche pour améliorer la société. « Je pense que beaucoup de femmes en recherche ont un syndrome de l’imposteur. Il est difficile pour elles de valoriser leur expérience. Plus largement, le savoir féminin et féministe n’est pas toujours reconnu comme étant de la science. Un bon exemple de ça, c’est tous les commentaires méprisants qui ont découlé de la nomination de Manon Bergeron, sexologue, comme scientifique de l’année par Radio-Canada.
« D’un côté on a un syndrome de l’imposteur et de l’autre on ne se fait pas reconnaitre… l’un alimente l’autre. »