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Des chercheurs de l’INRS créent une cape d’invisibilité en manipulant la lumière

13 juillet 2018 | Marianne Desautels-Marissal

Mise à jour : 21 mai 2021

La dernière décennie a vu naître une myriade de technologies destinées à dissimuler des objets en modifiant la manière dont la lumière interagit avec ceux-ci. Ces méthodes comportent toutefois une faille majeure : elles sont inefficaces sous un éclairage constitué d’un large spectre chromatique, soit composé de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel comme la lumière naturelle.

 Synthèse illustrée de la nouvelle approche d'invisibilité par camouflage spectral d'un objet éclairé par une lumière polychromatique
Synthèse illustrée de la nouvelle approche d’invisibilité par camouflage spectral d’un objet éclairé par une lumière polychromatique  

Or, le professeur José Azaña et son équipe de chercheurs de l’INRS viennent de démontrer l’efficacité d’une nouvelle cape d’invisibilité totalement novatrice, qui permet de camoufler parfaitement un objet éclairé par une lumière à large spectre. Leur avancée, publiée dans la prestigieuse revue Optica, pourrait trouver des applications en télécommunications et en sécurité informatique.  

Nos yeux perçoivent la matière qui nous entoure en fonction de la lumière qui nous est renvoyée par celle-ci. Une fleur bleue, par exemple, nous apparaît comme telle, car parmi les différentes longueurs d’onde du spectre électromagnétique émises par le soleil, seules celles correspondant à la couleur bleue sont diffusées par ses pétales. Autrement dit, ce qu’il nous est donné de voir est la manière dont les objets interagissent avec les ondes lumineuses.   

Les solutions envisagées habituellement afin de rendre un objet invisible visent à faire dévier la lumière pour qu’elle contourne un objet, sans interagir avec lui. De cette manière, un observateur ne peut, en théorie, discerner l’objet car il reçoit la lumière inaltérée. Certaines de ces technologies fonctionnent bien à l’échelle microscopique, à condition d’utiliser une seule longueur d’onde, c’est-à-dire une lumière d’une seule couleur. Cependant, la lumière du soleil et la plupart des sources lumineuses artificielles sont constituées d’un large spectre polychromatique. Le défi est de taille pour une lumière composée de plusieurs couleurs, car elles voyagent à des vitesses qui leurs sont propres. Ces différences de vélocité des rayons lumineux qui traversent les dispositifs d’invisibilité développés jusqu’à aujourd’hui créent des distorsions extrêmement difficiles à camoufler quand l’objet est éclairé par une lumière polychromatique.  

La technique inédite proposée par José Azaña et son équipe consiste à laisser la lumière atteindre sa cible plutôt que de la faire dévier autour de l’objet. C’est en manipulant la fréquence des ondes lumineuses qui le traversent qu’ils ont réussi à le rendre indétectable.

« Pour la première fois, nous avons démontré l’invisibilité d’un objet illuminé à l’aide d’une lumière polychromatique, à large spectre, de manière à ce que cette source lumineuse ne soit aucunement affectée par cet objet. Cette réalisation a été rendue possible grâce à une approche conceptuelle entièrement nouvelle de l’invisibilité. »  

José Azaña, professor
Le mouvement des ondes lumineuses pendant le camouflage spectral
Le mouvement des ondes lumineuses pendant le camouflage spectral  


Le camouflage spectral, ou comment modifier l’arc-en-ciel

Dans l’expérience décrite dans Optica, la cible à faire « disparaître » est un filtre optique. Il s’agit d’un objet semi-transparent, qui absorbe certaines couleurs, tout en en laissant passer les autres. Lorsque l’on observe une lumière à large spectre à travers le filtre, elle semble altérée pour certaines couleurs du spectre, révélant ainsi la présence du filtre. Pour créer l’effet d’invisibilité désiré, on doit arriver à percevoir la lumière dans son état d’origine telle qu’elle est émise par la source, comme si le filtre n’existait pas. 

José Azaña et son équipe ont donc proposé un nouveau concept théorique et expérimental pour créer leur cape d’invisibilité : déguiser les couleurs de l’onde entrante susceptibles d’interagir avec l’objet (c’est-à-dire, celles qui seront réfléchies ou absorbées par l’objet) en les convertissant en des couleurs qui ne seront pas influencées par l’objet. Après avoir traversé l’objet, l’onde sortante est restaurée à son état d’origine, comme s’il n’y avait aucun obstacle sur sa trajectoire.  

Cette nouvelle cape d’invisibilité agit en deux temps et en faisant intervenir deux composantes : l’une d’elle se trouve entre la source lumineuse et le filtre, tandis que la seconde composante du dispositif est située en fin de parcours, entre le filtre et un détecteur. Chacune de ces composantes est constituée de deux éléments. D’abord, une fibre optique qui a la particularité de séparer les couleurs de la lumière en forçant chaque couleur du spectre à voyager à une vitesse précisément déterminée. Ensuite, un appareil appelé « modulateur de phase temporelle » est utilisé pour modifier la fréquence d’une couleur donnée, en fonction du moment où elle atteint le modulateur. Autrement dit, il s’agit d’un appareil que l’on peut programmer pour faire varier l’énergie d’une couleur précise, et ainsi la transformer en une autre couleur.   

Les équipements nécessaires pour rendre invisible un objet avec l'approche conceptuelle du professeur José Azaña et de son équipe de chercheurs
Les équipements nécessaires pour rendre invisible un objet avec l’approche conceptuelle du professeur José Azaña et de son équipe de chercheurs  

Prenons par exemple un filtre optique qui absorbe la couleur verte. En modifiant la fréquence du vert présent dans le rayon lumineux pour qu’il devienne bleu, on annule ainsi toute interaction entre la lumière et le filtre, qui est sensible au vert. Mais la lumière a été modifiée. La seconde composante de la cape d’invisibilité sert justement à restituer le vert que l’on a transformé lors de la première opération. Résultat : la lumière a traversé le filtre sans aucune interaction, et la lumière restituée est identique à celle émise par la source. Le filtre est ainsi complètement indétectable, invisible!  

Pour le moment, la démonstration de l’invisibilité totale sous une lumière polychromatique a été réalisée en illuminant l’objet dans une seule direction, dans le but de valider le concept de base dans des conditions contrôlées. L’expérience a ainsi permis de démontrer l’efficacité de cette nouvelle approche, qui fonctionne sous une lumière à large spectre : « C’est un concept général très prometteur et nous devons le tester pour savoir jusqu’où nous pourrons l’optimiser et l’adapter, précise José Azaña. En théorie, il pourrait également être employé afin de dissimuler des objets en trois dimensions, en multipliant les paires de composantes ou en créant des couches successives de ces dispositifs. La seule information nécessaire est la réponse spectrale de l’objet à dissimuler, c’est-à-dire la gamme de couleurs qui seront affectées par l’objet et celles qui seront simplement transférées à travers l’objet, sans interagir avec lui. »   

Ce nouveau type de cape d’invisibilité unidimensionnelle présente un intérêt potentiel pour une série d’applications importantes, en particulier dans le contexte des systèmes de télécommunications à fibres optiques. Par exemple, les systèmes de télécommunications actuels utilisent des ondes lumineuses à large bande comme signaux de données pour transférer et traiter des informations. Réorganiser les couleurs du spectre à l’aide de ce nouveau dispositif pourrait éventuellement servir à protéger des données sensibles, en rendant certaines sections du réseau de télécommunications invisibles aux yeux inquisiteurs. Au-delà de la dissimulation et de l’invisibilité, cette technique novatrice pourrait aussi être utilisée pour minimiser certains problèmes  affectant les liaisons de télécommunications à large bande actuelles. La qualité de la transmission de l’information pourrait par exemple être améliorée en réorganisant le spectre d’énergie du signal pour le rendre moins vulnérable à la dispersion, aux phénomènes non linéaires, et aux autres effets indésirables qui sont souvent fortement liés à la fréquence (couleur) du signal de données.

Le professeur José Azaña et Luis Romero Cortés, étudiant au doctorat en télécommunications et coauteur de l'article publié dans la revue Optica, dans leur laboratoire à l'INRS
Le professeur José Azaña et Luis Romero Cortés, étudiant au doctorat en télécommunications et coauteur de l’article publié dans la revue Optica, dans leur laboratoire à l’INRS  

L’article “Full-fiel broadband invisibility through reversible wave frequency-spectrum control” est paru dans la revue Optica le 28 juin 2018 (DOI : 10.1364/OPTICA.5.000779). Les auteurs sont Luis Romero Cortés, Mohamed Seghilani, Rezan Maram et José Azaña. Pour mener ces travaux de recherche, les chercheurs de l’INRS ont reçu le soutien financier du Fonds de recherche du Québec — Nature et technologies (FRQNT) et du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). 

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