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Découverte d’un nouvel interrupteur des communications cellulaires

27 juin 2018 | Stéphanie Thibault

Mise à jour : 6 octobre 2020

L’équipe de recherche du professeur Nicolas Doucet a pris part à une étude qui révèle un important mécanisme de contrôle rapide des signaux cellulaires.  

Lorsqu’un organisme perçoit certains signaux de l’environnement, rapidement ses cellules réagissent grâce à des réseaux de communication qui transmettent le message. Une étude publiée dans la prestigieuse revue Molecular Cell, à laquelle a contribué l’équipe du professeur Nicolas Doucet de l’INRS, dévoile un mécanisme qui interrompt une importante voie de communication cellulaire impliquée dans plusieurs maladies. Cet interrupteur moléculaire clarifie le rôle de protéines bien connues, les récepteurs tyrosine kinases (RTK), mais dont on découvre encore le fonctionnement.    

Découverte d’un nouvel interrupteur des communications cellulaires

Pour qu’un organisme complexe se développe normalement et accomplisse ses fonctions vitales, les cellules se coordonnent et contrôlent de nombreuses actions, parfois à distance. Par exemple, une hormone est sécrétée par un organe, mais agit sur des cellules d’un organe différent. Une foule de messages circulent ainsi dans l’organisme, s’assurant que tous les processus biologiques se déroulent normalement.    


Le rôle essentiel des récepteurs

Comme pour nos appareils électroniques, les messages sont inutiles s’ils ne sont pas captés et interprétés adéquatement. Si on pouvait observer en détail une cellule du corps humain, elle apparaîtrait hérissée de capteurs en tout genre, comme les antennes sur le toit d’un édifice, mais aux fonctions plus variées. Ces capteurs sont le plus souvent des protéines spécialisées qu’on appelle des récepteurs.   

Les récepteurs tyrosine kinases (RTK) constituent une famille de protéines qui remplissent un très grand nombre de fonctions essentielles au développement et au maintien des organismes. Chez l’humain, ils sont présents dans chaque cellule et agissent tant sur l’organisation des cellules que pour la gestion des nutriments. Néanmoins, ils ont conservé une structure très similaire, ce qui fait dire aux chercheurs que chaque élément de la structure joue un rôle important. Or, jusqu’à récemment, les outils d’analyse ne fournissaient pas la précision nécessaire pour lever le voile sur des interactions clés se jouant à l’échelle atomique.     


Un design raffiné au fil de l’évolution

Enchâssés dans la membrane cellulaire, les récepteurs RTK érigent leur capteur à l’extérieur et allongent leur machinerie enzymatique à l’intérieur de la cellule. Comme leur nom l’indique, une partie de leur machinerie est une kinase, soit une enzyme qui active d’autres molécules en y ajoutant un groupement phosphate (un processus que l’on nomme la phosphorylation).  

Pour mettre en marche une voie de signalisation cellulaire, les récepteurs RTK s’assemblent en paire dès que le capteur reçoit un signal. Cet assemblage passe par une action réciproque : chaque partenaire accroche un groupement phosphate à l’autre. Toutes ces protéines se trouvent ensuite dans une configuration spatiale qui permet d’interagir avec une nouvelle molécule, démarrant du même coup une fonction cellulaire donnée.     


L’énigme de l’interrupteur

Dans l’étude actuelle, les chercheurs de l’Université Laval et de l’INRS tentaient d’élucider la façon dont la transmission des signaux est arrêtée. Des mécanismes d’inactivation ou de recyclage des RTK sont connus, mais ils n’expliquent pas tout puisque la vitesse trop lente à laquelle ils permettent un retour de la fonction ne correspond pas aux observations dans les cellules. Ces observations suggèrent l’existence d’un processus plus rapide.   

Pour mieux comprendre ce qui se passe au cours des interactions entre les molécules des complexes formés par les RTK, une famille de voies de signalisation a été analysée. Il s’agit de celle qui implique le RTK EPHA4 et l’adaptateur NCK, et qui régule des processus importants tels que la réorganisation du cytosquelette, la migration cellulaire et l’établissement de circuits de neurones.   À l’INRS, l’équipe de Nicolas Doucet a procédé à l’analyse au niveau atomique de la structure des protéines en jeu. En utilisant des techniques de résonance magnétique nucléaire (RMN) et de modélisation moléculaire par ordinateur, ils ont établi que les NCK comportent un acide aminé tyrosine très important pour la signalisation cellulaire, conservé dans toute la famille de ces protéines et tout au long de l’évolution. Lorsque NCK se lie à EPHA4, cet acide aminé se positionne de façon à permettre que cette tyrosine reçoive un groupement phosphate.     


Les protéines, ces géantes moléculaires

Pour parvenir à cette conclusion, l’une des principales difficultés rencontrées par l’équipe du professeur Doucet était d’établir clairement que NCK et EPHA4 puissent se reconnaître au niveau moléculaire, une étape essentielle à la phosphorylation.   

« En effet, on ne peut pas présumer que deux protéines vont se reconnaître de manière aléatoire ou par hasard juste parce que cela conviendrait à notre modèle, s’exclame le professeur spécialisé en ingénierie moléculaire. Puisque ces interactions sont invisibles à l’œil nu, nous devons utiliser des techniques moléculaires poussées pour démontrer de manière convaincante que l’interaction survient. »     

« Ceci implique de construire des modèles informatiques crédibles qui reposent à la fois sur des données expérimentales connues et sur des algorithmes de calculs qui analysent la probabilité de formation de ces complexes protéiques. Ce qui complique d’autant le problème, c’est que la surface des protéines est énorme à l’échelle moléculaire ! Des milliers d’atomes qui se repoussent ou s’attirent individuellement les uns des autres doivent être reconnus simultanément dans nos calculs. Toutes ces interactions sont gouvernées par des forces physiques et mathématiques bien connues, mais extrêmement complexes et qui nécessitent une puissance informatique significative pour être analysées. »   

À force de peaufiner les algorithmes et les mesures, l’équipe a fait les démonstrations nécessaires et, en collaboration avec les chercheurs de l’Université Laval, la mécanique cellulaire a été validée par des observations in vitro et in vivo.     


Une nouvelle clé des communications cellulaires

Voilà la clé de la découverte décrite par cette étude : une fois phosphorylé sur cette tyrosine, NCK interrompt son travail et coupe le circuit de communication cellulaire. L’équipe de recherche, dont plusieurs sont membres du réseau stratégique panquébécois PROTEO, a constaté cet effet d’interrupteur in vivo et in vitro.   

Nouvel élément dans la compréhension de la signalisation cellulaire, cet interrupteur explique en partie le contrôle rapide du relai du message en provenance de l’extérieur de la cellule. La mise à l’arrêt par NCK ne nécessite pas le démantèlement du complexe RTK. Ce dernier demeure actif à la surface de la cellule et peut toujours capter un nouveau signal. À l’intérieur de la cellule, d’autres événements encore inconnus contrôlent le retour à l’activité du complexe et de NCK.  

Cette importante pièce du casse-tête de la signalisation cellulaire ouvre des pistes de recherche sur des maladies telles que le cancer et le diabète, deux affections dans lesquelles il est connu que les récepteurs RTK ont un rôle significatif. Avoir une nouvelle clé pour contrôler leur activité est certainement enthousiasmant, mais il faudra encore beaucoup de recherche pour bien maîtriser ce nouvel interrupteur.  

À propos de l’article

L’article « Direct Phosphorylation of SRC Homology 3 Domains by Tyrosine Kinase Receptors Disassembles Ligand-Induced Signaling Networks » est paru dans la revue Molecular Cell le 21 juin 2018. Les auteurs sont Ugo Dionne, François J.M. Chartier, Yossef López de los Santos (stagiaire postdoctoral dans le laboratoire de Nicolas Doucet), Noémie Lavoie, David N. Bernard (étudiant au doctorat dans le laboratoire de Nicolas Doucet), Sara L. Banerjee, François Otis, Kévin Jacquet, Michel G. Tremblay, Mani Jain, Sylvie Bourassa, Gerald D. Gish, Jean-Philippe Gagné, Guy G. Poirier, Patrick Laprise, Normand Voyer, Christian R. Landry, Nicolas Doucet et Nicolas Bisson. Pour réaliser les travaux décrits dans cette publication, ils ont reçu le soutien financier du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada, des Instituts de recherche en santé du Canada, des Chaires de recherche du Canada, du Fonds de recherche du Québec – Santé, de la Fondation québécoise du cancer du sein, du regroupement québécois de recherche sur la fonction, l’ingénierie et les applications des protéines (PROTEO) et des Instituts nationaux de la santé des États-Unis (NIH). ♦