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Tout ce dont vous avez besoin pour décontaminer l’eau qui s’écoule des anciennes mines du Yukon, c’est de la bière. Ou de la mélasse. En fait, n’importe quelle matière organique peut faire l’affaire : copeaux de bois, tourbe, paille, etc. Ça semble presque trop facile. Mais comment la bière peut-elle aider à éliminer les métaux tels le plomb, le cadmium, le zinc, le cuivre ou l’arsenic de l’eau? Semblable à la reconstitution d’un cube de sucre préalablement dissous dans une tasse de café, des bactéries réductrices de sulfates (SRB) se nourrissent du carbone contenu dans la matière organique et transforment le métal dissous dans l’eau en un état solide. Voyons-y d’un peu plus près…
Deux chercheurs du Yukon Research Centre ont testé une variété de sources de carbone pour traiter l’eau contaminée des mines d’un peu partout sur le territoire. « Nous savons que ces bactéries sont très efficaces, elles sont comme une armée de petits soldats qui travaillent pour nous », indique Amélie Janin (Ph. D. en sciences de l’eau, INRS, 2009), la responsable du projet pilote. Notre but est de comprendre dans quelles conditions ces bactéries sont les plus performantes et de quels aliments elles ont besoin. »
La recherche est basée sur une technique existante utilisée depuis une quinzaine d’années dans l’industrie minière. Quand Amélie a débuté son travail avec le doctorant Guillaume Nielsen il y a deux ans, la faisabilité d’un tel projet au Yukon avait été peu étudiée. Guillaume, c’est son « protégé ». Il a réalisé ses études doctorales à l’INRS dans le même domaine, sous sa supervision ainsi que celle des professeurs Jean-François Blais et Guy Mercier.
Les deux chercheurs sont passés avec succès de la phase laboratoire, avec de petites quantités, à la phase pilote de mise à l’échelle permettant de traiter 200 litres d’eau contaminée à la fois. Les résultats sont prometteurs, mais il reste beaucoup de travail à faire avant la mise en œuvre sur le terrain.
Des enjeux majeurs pour le Yukon
Les sociétés minières comptent actuellement sur la chaux pour traiter l’eau contaminée des mines. Mais le coût des produits chimiques et du matériel, qui doivent être acheminés sur de grandes distances, s’ajoute aux exigences en matière de personnel. De grandes quantités de boues toxiques sont donc conservées derrière des barrages, nécessitant une surveillance constante pour prévenir les accidents comme le déversement de boues toxiques survenu en 2014 à la mine Mount Polley en Colombie-Britannique.
Les mines désaffectées continuent de contaminer l’eau puisque le minerai, lorsqu’exposé à l’eau et à l’oxygène de l’air, engendre ce que l’on appelle le drainage minier acide (DMA). Il s’agit d’un mélange de sulfate, de métal et d’eau acide. Aujourd’hui, dans les mines en opération, on prévient le DMA en inondant le minerai ou en le recouvrant de bâches. Mais pour les sociétés minières responsables des mines désaffectées, cela signifie qu’elles devront en traiter l’eau pour toujours. Lorsqu’une technique comme le SRB montre des résultats prometteurs, avec un potentiel de réduire les coûts de décontamination de moitié, les sociétés minières sont forcément intéressées.
« La société Alexco Resource Corp. utilise le SRB dans certaines de ses mines depuis 1999, indique son vice-président Jim Harrington. Elle a réalisé un projet pilote utilisant un mélange de mélasse et d’éthanol pour traiter l’eau de la mine Silver King, dans le district de Keno. Bien qu’il s’agisse d’un projet pilote, l’échelle était beaucoup plus grande que les tubes d’essai de laboratoire : l’eau s’écoule de la mine avec un débit de 10 à 20 litres par seconde. Les chercheurs Nielsen et Janin aident l’entreprise à affiner la technique utilisée à la mine ». « La forte teneur en sucre est ce qui rend le mélange de mélasse et d’éthanol si efficace, souligne Nielsen. Le sucre excelle à stimuler la croissance bactérienne. »
Le projet pilote a débuté il y a deux ans, mais la Société a cessé d’utiliser le traitement à la chaux il y a un an seulement en raison de la période de transition nécessaire pour que la nouvelle technnique soit entièrement opérationelle.
Il y a environ 40 mines désaffectées dans le district de Keno qui nécessitent une décontamination. Alexco est à la recherche de solutions dans plusieurs des 10 mines dont l’entreprise est responsable.
La technique du SRB apporte dans certains cas un bénéfice supplémentaire en réduisant avec le temps les besoins de traitement. En effet, le mélange de mélasse et d’éthanol consomme une partie de l’oxygène de mine diminuant la production de drainage minier acide. « Le véritable avantage est que nous faisons cela à la source, signale Harrington. La boue est retenue dans la mine et il y en a très peu par rapport à la chaux. »
« Le projet pilote vise aussi à convaincre le gouvernement fédéral, en partie responsable de la décontamination, que le nouveau processus vaut l’investissement. En fin de compte, ce sera au gouvernement fédéral et à la Première Nation des Nacho Nyak Dun de décider si cette solution est acceptable », dit-il en précisant qu’il a senti beaucoup de soutien de la part de la Première Nation.
Pour les chercheurs Janin et Nielsen, la collaboration et l’échange d’information avec la communauté locale a été une bonne expérience. « La science n’est profitable que si elle partagée et utilisée. »
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Traduit et adapté d’un article de Pierre Chauvin (August 26, 2016) Beer, molasses offer hope for sweet solution to mine contamination. Yukon News
Reproduit avec la permission de l’éditeur et de l’auteur.
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Pour en savoir plus :
- Janin A & Harrington J (2015) Performances of lab-scale anaerobic bioreactors at low temperature using Yukon native microorganisms. Proceedings of Mine Water Solutions in Extreme Environments (April 12-15, 2015) Vancouver, Canada. InfoMine. 978-0-9917905-7-9
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