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Marie-Claude Sincennes : étudier les maladies rares en s’intéressant à l’infiniment petit

2 mars 2024

Mise à jour : 2 mars 2024

La série « Tour d’horizon en trois questions » met en valeur la recherche sous toutes ses formes et porte un regard éclairé sur l’actualité.

Marie-Claude Sincennes, membre de l'UMR INRS-UQAC, dans son laboratoire à l'UQAC.

Marie-Claude Sincennes, membre de l’UMR INRS-UQAC, dans son laboratoire à l’UQAC. Photo : UQAC

Depuis maintenant 10 ans, la professeure à l’INRS, Marie-Claude Sincennes étudie les maladies rares et s’intéresse à l’infiniment petit : la chercheuse fait partie d’une poignée d’experts dans le monde à étudier les cellules souches musculaires dans le but d’identifier de meilleures cibles thérapeutiques pour des maladies neuromusculaires.

Elle a intégré l’unité mixte de recherche (UMR) INRS-UQAC en santé durable en 2022, où elle mène des travaux en collaboration avec d’autres scientifiques et partenaires locaux. Une synergie d’expertises nécessaire aux avancées dans un domaine où il reste encore beaucoup à découvrir. 

La professeure Sincennes répond à nos questions dans le cadre de la Journée des maladies rares, qui vise à sensibiliser le public, à valoriser l’importance de la recherche et à mobiliser un soutien accru pour les personnes touchées par ces maladies trop peu étudiées.

Une maladie est dite rare lorsqu’elle touche moins de 1 personne sur 2 000

Source : RQMO

Plus de 7 000 maladies rares ont été répertoriées à travers le monde. Au Québec, on estime que près de 500 000 personnes seraient atteintes ou porteuses d’une maladie rare. Vous avez choisi de vous intéresser à certaines de ces maladies et notamment au rôle de la génétique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce que je préfère de la recherche scientifique, c’est de découvrir la fonction des gènes qui sont peu étudiés, ou encore de découvrir de nouvelles fonctions pour des gènes déjà connus.

C’est ce que j’ai fait durant mon doctorat en biologie moléculaire, alors que j’étudiais un gène impliqué dans la leucémie. J’ai découvert que ce gène, en plus de sa fonction connue et bien caractérisée, pouvait effectuer plusieurs fonctions différentes qui n’avaient pas encore été investiguées. J’ai trouvé ce projet vraiment très excitant, mais ça m’a pris quelques années avant de réaliser que c’était précisément le fait de découvrir de nouvelles fonctions pour certains gènes que je trouvais aussi stimulant.

Durant ma formation postdoctorale, j’ai développé une expertise en cellules souches musculaires et en régénération du tissu musculaire.

Les cellules souches sont très difficiles à étudier, d’abord parce qu’elles sont rares, et ensuite parce qu’il existe très peu de modèles in vitro qui puissent refléter fidèlement leur biologie. Nous sommes donc très peu de scientifiques dans le monde à s’intéresser à ce type particulier de cellules, qui ont pourtant une importance capitale car elles contrôlent la régénération du muscle lors d’une blessure ou dans certaines maladies associées à une perte musculaire.

Évidemment, je souhaitais mettre cette expertise à profit pour étudier la fonction de gènes impliqués dans des maladies neuromusculaires rares et sous-étudiées comme le rhabdomyosarcome, les dystrophies musculaires ou certaines myopathies

Mon laboratoire est situé à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) au sein de l’UMR INRS-UQAC, au cœur du Saguenay-Lac-Saint-Jean, une région reconnue pour sa forte prévalence de maladies rares en raison de son histoire. En effet, les événements migratoires couplés à un haut taux de fécondité et à un isolement géographique de la région font que sa diversité génétique est plus restreinte que dans les grands centres.

Je suis très fière de contribuer, avec mon équipe, à étudier certaines maladies associées au tissu musculaire qui sont plus prévalentes dans ma nouvelle région d’accueil, comme la dystrophie musculaire oculopharyngée.

La collaboration est au cœur du succès de la recherche. Selon vous, est-ce encore plus vrai pour la recherche sur des maladies dont on ne connaît pratiquement rien ? Quelles sont les approches innovantes actuellement utilisées dans la recherche sur les maladies rares ?

Comme le dit l’adage, l’union fait la force, et je pense effectivement que c’est encore plus vrai dans le contexte des maladies rares. Je collabore avec mes collègues de l’UMR, dont Jean Legault de l’UQAC, et Charles Gauthier et Amadou Barry de l’INRS, sur un projet qui étudie le rhabdomyosarcome, une forme de cancer rare chez l’enfant. Nous désirons comprendre le rôle des gènes qui sont mutés dans ce type de cancer et identifier de nouvelles molécules qui affectent la survie ou la prolifération des cellules de rhabdomyosarcome, afin de développer de futures cibles thérapeutiques.

Mon équipe est aussi en train de développer de nouvelles collaborations avec Catherine Laprise de l’UQAC sur une maladie rare appelée l’épidermolyse bulleuse simplex, et également avec des chercheuses du Centre hospitalier de l’Université de Montréal et de l’UQAM sur une myopathie rare – si rare qu’elle ne porte pas de nom pour l’instant !

Au-delà des technologies innovantes, je crois que l’interdisciplinarité est vraiment la clé pour faire des avancées importantes dans le domaine des maladies rares. Le Saguenay ne possède évidemment pas une masse critique de chercheuses et chercheurs en maladies rares, et c’est la raison pour laquelle la collaboration est d’autant plus importante. Des initiatives comme le Centre intersectoriel en santé durable (CISD) et le Groupe de recherche interdisciplinaire en maladies neuromusculaires (GRIMN) démontrent comment le Saguenay tire son épingle du jeu en mettant à profit les expertises diversifiées des spécialistes de la région. Alors que j’apporte une expertise en biologie moléculaire et cellulaire, le GRIMN travaille depuis plusieurs années avec les personnes atteintes de maladies rares au Saguenay, et ça apporte une perspective extrêmement enrichissante à mon programme de recherche.

Au-delà de la collaboration, mon équipe composée de membres étudiant au doctorat, à la maîtrise et de trois stagiaires venant de différents endroits, contribue à enrichir les échanges et à approfondir les connaissances. Une relève en recherche prête à faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain.

Marie-Claude Sincennes lab
De gauche à droite: Marie-Eve Lavoie (professionnelle de recherche), Sanjay Vasan (stagiaire), Pauline LeGall (stagiaire), Soufiane Essuissi (stagiaire), Marie-Claude Sincennes, Pegah Ghavidel (doctorante), Yassine Abdelmalki (doctorant), Mehdi Zouhry (étudiant à la maîtrise), Yasmine Bachir (étudiante à la maîtrise).

C’est un domaine de recherche qui a longtemps été considéré comme sous-financé et délaissé. Depuis tout récemment, des initiatives voient le jour et le Québec s’est même doté d’un Plan d’action pour les maladies rares 2023-2031. Avez-vous l’impression que les choses évoluent ? Qu’est-ce qui vous motive à poursuivre votre travail?

Mon laboratoire se consacre entièrement à l’étude des maladies rares, avec un intérêt particulier pour les maladies associées au tissu musculaire. Je suis donc convaincue que notre contribution à ce domaine permettra de mieux comprendre les mécanismes biologiques qui sont compromis dans les maladies neuromusculaires, et pourra améliorer la qualité de vie des gens qui sont aux prises avec ces maladies. C’est ce qui me motive à poursuivre dans cette voie.

Je me réjouis de voir que nos décideurs ont choisi d’investir dans ce domaine précis. Puisque les maladies rares, et particulièrement les gènes qui y sont associés sont très peu étudiés chaque découverte constitue une avancée significative dans le domaine, voire une avancée qui peut s’avérer bénéfique pour des maladies plus communes.

En effet, les découvertes autour d’une maladie en particulier peuvent influencer notre compréhension d’autres pathologies qui se développent avec des mécanismes similaires. À l’inverse, certains médicaments qui ont été développés pour des maladies courantes méritent de voir leur efficacité testée pour certains types de maladies rares. C’est d’ailleurs un des aspects sur lesquels notre unité mixte de recherche INRS-UQAC se penche.

Il y a tout à faire et encore beaucoup de questions non résolues pour venir en aide aux personnes atteintes. C’est ce qui me motive comme chercheuse, mère et citoyenne. 

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